Emploi : leviers d’activation fédérale et responsabilisation régionale
Écrit par Elvis Mihalowitch
14.02.2025
Le nouveau Gouvernement fédéral appelle à une vraie révolution du marché du travail, avec pas moins de 135 mesures. Force est de reconnaître que l’objectif est ambitieux (certains diront même « trop ambitieux ») : atteindre un taux d’emploi de 80% à l’horizon 2029 (vs 67,6% actuellement). Soit 300.000 emplois de plus que les prévisions du Plan du Bureau fédéral à politique inchangée. Pour y parvenir, l'accord fédéral prévoit d’inciter par tous les moyens à la (re)mise à l’emploi car la pérennité de notre modèle économique et social en dépend.
Premier levier : l’activation des chercheurs d’emploi
Première pièce de ce dispositif : le gouvernement De Wever mise sur un renforcement significatif de la politique d’activation des chercheurs d’emploi. La recette n’est pas neuve puisque l’on en retrouve les principes dès 2004 avec le plan « Activation du Comportement de Recherche d’emploi » du Ministre Vandenbroucke.
La limitation des allocations de chômage à deux ans (voire moins en fonction des années de travail antérieures) et la diminution plus rapide du montant dans le temps ont pour objectif d’inciter un chômeur à réintégrer plus rapidement le marché du travail et ainsi équilibrer les comptes de la sécurité sociale.
Une recette efficace ? Certainement, mais avec un point d’attention majeur. Selon Stijn Baert, professeur d’économie à l’UGent (cité par l’Echo, 07 février 2025), « certaines personnes trouveront effectivement un emploi lorsque leurs allocations seront supprimées, mais cela risque aussi de pousser des gens vers le problème encore plus insoluble de l’inactivité ».
Un accompagnement nécessaire
En Wallonie, près de la moitié (45%) des chômeurs indemnisés sont au chômage depuis plus de deux ans et environ la moitié d’entre eux a plus de 50 ans. Plus de 55.000 personnes pourraient se retrouver en fin de droit aux allocations de chômage selon les estimations de la FGTB. Parmi ces publics très éloignés du marché de l’emploi se trouvent de nombreuses personnes ayant perdu les compétences comportementales minimales pour opérer dans le monde du travail, ne possédant pas de qualification valorisable sur le marché du travail, ou souffrant de troubles physiques, psychiques ou mentaux. La fin du droit ou la diminution des allocations de chômage ne suffira pas toujours pour ramener ces personnes vers l’emploi. Pour y parvenir, il faudra combiner la limitation dans le temps des allocations de chômage avec un renforcement de l’accompagnement et de la formation de ces publics.
Sur ce point, en Belgique, rien n’est simple. Si le Fédéral a la main et compte resserrer les cordons de la bourse, c’est aux Régions qu’il incombe d’organiser l’accompagnement et le contrôle du comportement de recherche active d’un emploi. Derrière cette politique fédérale d’activation des allocations de chômage se cache en réalité aussi une politique d’activation des Régions et des communes.
Une responsabilité accrue pour le Forem et les CPAS
Le Forem et les CPAS auront donc à assumer une responsabilité majeure dans l’atteinte des objectifs globaux. Sans une action repensée et efficace de ces acteurs, les effets en termes de gain sur le taux d’emploi et sur l’offre de main-d’œuvre seront plus limités. L’enjeu est donc de savoir ce que pourront leur proposer ces acteurs incontournables pour (re)mobiliser les publics en question vers le chemin de l’emploi.
Sur ce point, la présence de majorités politiques entre les niveaux de pouvoirs est un atout. Le gouvernement et le Ministre Jeholet ont déjà annoncé une réforme ambitieuse pour l’accompagnement des chercheurs d’emploi qui vise à responsabiliser tous les acteurs : le chercheur d’emploi, le Forem et l’ensemble des acteurs de l’insertion socio-professionnelle. Le chercheur d’emploi sera mobilisé et responsabilisé plus vite et plus souvent. L’accompagnement proposé par le Forem sera réformé pour être plus rapide et orienté vers une offre d’emploi, de stage ou de formation, avec un paysage de l’emploi et de la formation plus lisible et plus cohérent. Les partenaires du Forem seront financés sur base de leurs résultats.
Du côté des CPAS wallons, qui devront prendre en charge un public beaucoup plus important, il faudra avant tout veiller à l’impact sur les finances communales et les capacités d’accompagnement. Le travail d’insertion socioprofessionnelle de ces publics n’est pas neuf. Il faisait déjà partie intégrante du projet individualisé d’intégration sociale (PIIS) généralisé en Wallonie depuis 2016. Cependant, les forces devront être décuplées alors que l’on sait déjà aujourd’hui que certains services sont saturés. L’accord de gouvernement prévoit une compensation aux CPAS pour en tenir compte ; il faudra s’assurer que cette compensation soit suffisante.
Réforme du paysage wallon de l’emploi
Cette question est par ailleurs étroitement liée à la réforme du paysage de l’emploi en Wallonie. Il devient urgent de définir le trajet de ces publics en fin de droit aux allocations de chômage et les rôles respectifs du Forem, des CPAS et des autres partenaires spécialisés.
Au vu du nombre de chercheurs d’emploi en Belgique, l’atteinte d’un taux d’emploi de 80% passera également par la (ré)intégration à l’emploi d’une partie des malades de longue durée. Rappelons que la Belgique compte environ un demi-million de travailleurs et travailleuses en maladie de longue durée et ce nombre a doublé en moins de 20 ans. Fin 2023, cela représentait 187.675 personnes en Wallonie. Pour faciliter la réintégration vers l’emploi d’une partie de ces personnes, le Fédéral renvoie la balle aux Régions en renforçant l’orientation vers un parcours de réintégration à l’emploi géré par le Forem. Un enjeu majeur pour notre région donc alors même qu’elle devra déjà mieux prendre en charge les demandeurs d’emploi « traditionnels ».
Un programme réaliste ?
Plusieurs éléments semblent donc s’aligner pour apporter des solutions nouvelles au problème structurel du chômage, de l’inactivité et de la vacance d’emploi en Wallonie. On peut évidemment se féliciter de cette volonté politique. Néanmoins, rien n’est gagné et plusieurs éléments conditionneront le succès des mesures annoncées tant au niveau fédéral que régional :
- La nécessaire montée en compétences de ce public qui ne dispose pas, pour la grande majorité, du CESS.
- Nous soutenons la réforme rapide de l’offre et du paysage des acteurs de la formation professionnelle.
- Nous soutenons la nécessité d’un dispositif simple, lisible, ciblé, efficace et régulièrement évalué d’incitants à l’emploi et à la formation.
- L’anticipation du report d’une partie importante de l’impact budgétaire sur les Régions et les communes.
- Nous soutenons la mise en œuvre rapide des réformes attendues côté wallon pour gagner en efficience et ainsi renforcer rapidement les capacités d’accompagnement.
- Nous serons attentifs à ce que la compensation pour les CPAS prévue par l’accord fédéral soit adaptée aux besoins.
- La non-linéarité et la complexité des parcours de vie et d’emploi des publics fragilisés et éloignés du marché de l’emploi. Les projets d’accompagnement menés avec le public des jeunes hors emploi, hors enseignement ou formation (NEETS) ou les publics émergeant des CPAS montrent l’importance d’une approche de l’accompagnement agile et personnalisée.
- Nous soutenons la réforme de l’accompagnement et du paysage de l’insertion qui devra prévoir des moyens et des outils innovants pour répondre aux obstacles sociaux que rencontrent ces personnes et qui ne relèvent parfois pas des politiques de l’emploi. Il sera aussi nécessaire de quantifier les gains d’efficience au sein du Forem renforcer et de rapidement les équipes de première ligne.
- Nous plaidons pour une vision politique transversale de soutien à l’emploi dans les politiques de mobilité, d’accès au logement, d’accueil de la petite enfance, de lutte contre les discriminations…
- Le risque de voir certaines personnes s’éloigner encore plus du marché du travail, voire sortir des radars.
- Nous estimons que la politique d’activation doit être assortie de mesures de raccrochage (de réversibilité de la sanction, d’accompagnement social et spécialisé…) au risque de contribuer à renforcer l’éloignement du marché de l’emploi, voire l’exclusion sociale d’une partie importante des publics concernés.